A l’écart de la Croisette et du Palais des festivals, dans les hauteurs de Cannes, “la Villa des Ministres” accueillait au début du XXe siècle de nombreuses personnalités, ministres, artistes et intellectuels, comme l’écrivain Romain Gary.
En marge de la 76e édition du Festival de Cannes, des créateurs d’un autre genre, réalisateurs et producteurs, se sont réunis dans les jardins de la villa pour lancer la première édition du festival MetaCannes.
Organisé en ligne du 16 au 29 mai, cet événement est destiné à mettre en lumière le mouvement émergent baptisé Film3. Organisé par la plateforme de crowdfunding Web3 FF3 et le Studio Web3 The Squad, il propose de découvrir des films et courts métrages, mais également des enregistrements de panels et d’échanges avec des figures du mouvement Film3.
De la même manière que l’évolution des techniques du cinéma a donné naissance à la Nouvelle Vague en France dans les années 1960, la blockchain a d’ores et accouché du mouvement Film3, comme l’expliquent les pionniers qui en font partie.
“J'aime parler de cela comme de la prochaine vague du cinéma”, a confié Jordan Bayne, une réalisatrice dont le court-métrage "The Sea Is All I Know” avait été sélectionné pour concourir aux Oscars en 2011, à Decrypt.
Désabusée par le fonctionnement de l'industrie cinématographique, et alors qu’elle s’intéressait à la crypto depuis 2015, elle a fondé le Film Squad en 2021. L’objectif était d'explorer comment les cinéastes indépendants pourraient utiliser la blockchain pour surmonter les obstacles auxquels ils sont confrontés.
Jordan Bayne affirme aussi vouloir utiliser la blockchain pour donner une voix aux minorités. “The Squad est né de la volonté de comprendre comment nous pourrions apporter des solutions aux difficultés rencontrées par des cinéastes comme moi en tant que femme et être humain LGBTQIA, ou les cinéastes noirs, les personnes de couleur, tous ces différents groupes dont les voix sont peu représentées”, explique-t-elle. “J'ai eu le sentiment que nous étions à l’aube d’une révolution”.
💥GM! A big day for #Film3 as the #MetaCannes Film3 Festival is LIVE ! Powered by @Theta_Network , the all access streaming pass can be found here: https://t.co/9SeVDSVQw6
The festival: May 16 - 29 . Don't miss the award winning films, and incredible panels. LFG!#theta $theta pic.twitter.com/T7CgB6xqq4
— The Squad | Foundation of Film3 (@Film3Squad) May 16, 2023
A ses yeux le Web3 offre une alternative à Hollywood, en donnant le pouvoir aux créateurs, de l’écriture à la diffusion. “Il est possible d’utiliser sa communauté pour amplifier et commercialiser un projet”, explique-t-elle.
Communautés et CryptoPunks
Le réalisateur espagnol Miguel Faus a été l'un des premiers à être soutenus par le Film Squad. En cours de finalisation du premier long métrage européen entièrement financé par des NFTs, “Calladita” , il a rapidement compris le potentiel du Web3.
A 30 ans, il a réalisé deux courts métrages, “The Death of Don Quixote” (2018) et “Calladita” (2020), qui a été acheté et diffusé par HBO. C'est en mars 2020, en plein confinement, qu'il a découvert les NFT. Il a ensuite réalisé qu’il pouvait les utiliser pour financer l’adaptation de Calladita en long métrage.
Il a alors décidé de créer une collection de NFTs à partir d’images et de séquences de la version courte de “Calladit ” , et de les vendre via une plateforme dédiée, obtenant le soutien de plusieurs communautés NFT, comme les CryptoPunks. Alors qu’il possède lui-même un Cryptopunk, il a convaincu près de 250 Punks de participer au financement. “C'est une communauté formidable”, confia-t-il a Decrypt. “Et des membres d'autres communautés ont également participé, comme par exemple, Bored Apes, Nouns DAO, et Mfers”.
Au total, le crowdfunding de “Calladita” a permis de rassembler près de 750 000 dollars. Le projet a ensuite bénéficié d’un financement supplémentaire de 100 000 dollars grâce à une bourse accordée par le réalisateur de “Ocean's Eleven”, Steven Soderbergh, par le biais du fonds cinématographique Web3 Decentralized Pictures.
Alors qu'il cherche actuellement des canaux pour diffuser son long métrage, il souhaite rendre à la communauté ce qu'elle lui a donné. “Je veux grandir avec la communauté et rendre ses membres fiers” , explique Miguel Maus. “Je pense qu'ils le sont déjà et je suis impatient qu'ils découvrent le film. J'espère qu'ils le soutiendront, et que, peut-être, nous pourrons en faire un deuxième. Nous avons lancé la ‘Creator DAO’ qui détiendra 80% des recettes du film. J'espère donc que les holders qui gèreront la trésorerie soutiendront de nouveaux projets”.
Cet aspect communautaire est primordial, estime le co-organisateur de Metacannes, Nick Sadler. Le co-fondateur de la plateforme de crowdfunding FF3 est le producteur exécutif du court-métrage oscarisé “An Irish Goodbye”, diffusé dans le cadre de Metacannes. “Film3 procure de l'espoir à des cinéastes indépendants qui ont l'impression qu'il n'y a pas d'avenir pour eux à moins de signer avec Amazon ou Netflix”, confie-t-il a Decrypt. “Et c'est une communauté bienveillante, derrière laquelle les gens peuvent se rassembler” .
«Les créateurs peuvent changer le monde.»
“Si vous changez le monde pour les créateurs, les créateurs peuvent changer le monde”, affirme à Decrypt Stephen Murray, fondateur de la plateforme décentralisée de marketing et de distribution Bingeable. Militant de longue date en faveur de la décentralisation du monde du cinéma, il a découvert le mouvement Film3 en janvier 2022. “Je suis tombé amoureux de la communauté”, explique-t-il. “J'ai eu l'impression qu'ils comprenaient déjà ce que j'essayais de faire, et j'ai commencé à discuter avec eux de la façon dont nous pourrions changer les choses pour les créateurs”.
Bingeable va lancer deux premiers films sur sa plateforme en août puis en octobre. Le projet ambitionne de donner aux réalisateurs, acteurs, compositeurs de films, influenceurs et holders de NFT un canal de diffusion dédié, où ils pourront vendre leurs œuvres en VOD ou en NFT directement à leurs followers sur les réseaux sociaux, et partager les revenus avec leurs communautés.
“La différence entre ce que l'industrie traditionnelle fait depuis 125 ans et ce que Film3 fait, c'est que nous prenons la décision de changer l'équilibre du pouvoir”, ajoute Stephen Murray. “Nous disons simplement qu'il est plus important et précieux de créer que de commercialiser et de distribuer. C'est la philosophie et l'éthique de Film3, dont je suis tombé amoureux”.
Le mouvement doit toutefois faire face à certains obstacles. Le bear market a considérablement réduit l’intérêt pour les NFT, rappelant que le chemin à parcourir est encore long avant que le Web3 ne devienne mainstream. “Le Web3 est très prometteur”, explique à Decrypt Phil McKenzie, cofondateur de la plateforme de streaming MyCo et co-organisateur du festival MetaCannes. “Mais nous vivons dans un monde dominé par le Web2. Il s'agit de marier ces deux mondes et de construire des passerelles. C'est pourquoi il est important d'être présent à Cannes et d'interagir avec des producteurs, distributeurs et agents.”
Le mouvement Film3 peut néanmoins compter sur le soutien de quelques grands noms du cinéma mondial. Présent à Cannes pour l’avant-première du dernier film de Wes Anderson, “Asteroid City”, qu’il a co-écrit, Roman Coppola a accepté d’évoquer pour Decrypt le fonds Web3 qu’il a cofondé, Decentralized Pictures. Un an après son lancement, DCP a déjà distribué des centaines de milliers de dollars de bourses, financées notamment par les réalisateurs Steven Soderbergh et Kevin Smith.
Selon Roman Coppola, le mouvement Film3 s’inscrit dans la lignée de la Nouvelle Vague, du néo-réalisme italien et du cinéma japonais d’après-guerre, dont le réalisateur Akira Kurosawa est l’une des figures majeures. " Ces mouvements sont tous issus de communautés”, souligne-t-il. “La Nouvelle Vague française était un groupe de scénaristes et de cinéastes qui se rassemblaient et s'entraidaient”. Il dresse également un parallèle avec la carrière de son père, Francis Ford Coppola, qui avait fondé la société de production American Zoetrope avec son ami George Lucas. “La beauté du cinéma pour moi, c'est ce sens de la communauté. Mon fantasme est qu’une sous-culture naisse de DCP”, confie-t-il, soulignant que les membres de la communauté échangent déjà conseils et services sur Discord “Ce sont des gens qui se connectent les uns aux autres”, insiste-t-il. “Et j'espère que cela donnera naissance à un cinéma qui n'aurait pas existé autrement ".